
Mina Benson Hubbard : laver l’honneur de son mari jusqu’au aux confins du Labrador

Mina Benson voit le jour en 1870, en Ontario. Fille d’un immigrant Irlandais, elle grandit sur une ferme au sein d’une famille de 7 enfants. Fait hors du commun à l’époque, ses parents choisissent de faire instruire leurs enfants – même leurs filles – jusqu’à l’obtention de leur diplôme.
À 16 ans, elle prend devient institutrice, rare métier à la portée des filles de l’époque. Elle exerce pendant 10 ans, puis à 26 ans elle change radicalement de vie. Elle souhaite devenir infirmière. Elle s’installe à New York et pendant 3 ans, y apprend le métier 18 heures par jours dans un hôpital de Brooklyn. Celle qui a bientôt 30 ans rencontre l’amour à l’hôpital. Leonidas Hubbard, journaliste, s’y remet de la typhoïde.
Adepte des grands espaces, Leonidas finit par être embauché au magazine Outing, à une époque où les safaris, les clubs privés de chasse et les expéditions sont en vogue. Pour sa première assignation, il partira en expédition pendant 5 mois au sud des États-Unis. Ce serait un superbe voyage de noce. Sans famille ni amis, Mina et Leonidas s’unissent rapidement et entreprennent leur périple de 5 mois de randonnées et de camping.
Le couple s’installe en campagne et la nouvelle Mme Hubbard, 30 ans, devient femme au foyer. Leonidas, lui, rêve de grands espaces. Les récits d’exploration et de contrées lointaine fascine. Il rencontre un certain Wallace Dillon qui lui parle d’une contrée qui n’a pas encore été cartographiée : le Labrador. Le projet germe, le voyage s’organise. Les 2 amis rêvent de devenir célèbres et de figurer au panthéon des ‘’explorateurs’’ (mais peut-on réellement ‘’explorer’’ une terre déjà habitée ?)
Ils engagent un guide, cri de la baie James ontarienne, George Elson. Ils prévoient remonter les rivières jusqu’à la baie d’Ungava, cartographier le territoire… et devenir célèbres. Le 15 juillet 1903, c’est un départ. Ils quittent North West river et s’enfoncent en canot au cœur du Labrador.
2 jours après leur départ, le groupe commet une grave erreur. Ils croient avoir rejoint la rivière Naskaupi, et s’y engagent, persuadés avoir trouvé la voie vers l’Ungava. Ils s’enfoncent plutôt vers nulle part. Mal équipés, perdus, ils peinent à trouver du gibier. 1 mois après leur départ, l’automne pointe son nez. Après 2 mois d’expédition infernale, ils tentent de revenir sur ses pas. Leonidas a la dysenterie. En octobre, ils se séparent. George va à la recherche de trappeurs Innus qui pourraient fréquenter le territoire. Wallace va à la recherche d’une cache de farine laissée derrière. Leonidas, trop faible, attend les secours. L’hiver commence.
Wallace est pris dans un blizzard pendant une dizaine de jours. Il est secouru in extremis par George et les trappeurs Innus qu’il a enfin trouvé. Quand les hommes retrouvent le campement de Leonidas, il est décédé. Son journal contient une lettre pour Mina et relate ce voyage qui n’aurait pas dû avoir lieu. C’est en janvier seulement que Mina reçoit la terrible nouvelle.
Avec l’accord de Mina, Wallace Dillon rédige un livre sur l’expédition chaotique. La veuve espère que le courage de son époux restera gravé dans l’histoire… Mais voilà que le livre de Wallace qui paraît en 1905, The Lure Of The Labrador Wild, entache la mémoire de Leonidas, qui porte tous les tors de l’expédition.
Mina fulmine, et obtiendra vengeance. Wallace compte retourner au Labrador pour finir son expédition ? Elle ira aussi. La discrète femme au foyer organise sa propre expédition. Les journaux s’emparent de l’affaire, la rivalité alimente la presse. Mina engage 2 guides Innus et ce même George Elson de la baie James pour la mener du Labrador à l’Ungava.
Le 27 juin 1905, c’est un départ. La dame en longue robe, revolver à la ceinture et appareil photo à la main, monte dans un canot et s’enfonce au cœur du Labrador. Le groupe de Wallace Dillon aussi quitte vers l’Ungava. Qui arrivera le premier ?
Cette fois, le voyage se passe sans encombre. Mina Benson Hubbard est bien accompagnée. Elle photographie, mesure, cartographie le territoire parcouru. Elle s’émerveille, grimpe des montagnes, affronte les rapides, court derrière les hardes de caribous pour les photographier. Elle est libre et n’a peur de rien. Elle est plus téméraire qu’elle ne croyait, George doit garder un œil sur elle : elle pourrait se mettre dans le pétrin. Elle se prend d’amour pour la toundra, y rencontre les Innus, les Naskapis, dort sous la tente.
Le groupe atteint le poste de George river dans l’Ungava après 2 mois de voyage. Il ne leur reste qu’à attendre le bateau de ravitaillement. Wallace Dillon arrive au poste de traite 7 semaines plus tard. Il trouve Mina Hubbard, dans sa longue robe, qui l’attend au poste. Quelle humiliation.
À son retour, Mina Hubbard s’attèle à la rédaction d’un livre sur son expédition, et pour laver l’honneur de son mari, A Woman’s Way through Unknown Labrador. Elle y décrit les paysages formidables du secteur, partage ses observations détaillée sur la topographie, la géologie, la flore et la faune. Elle y dresse une carte si précise, que la Commission géologique du Canada l’utilisera pour ses travaux jusqu’en 1930.
Au cours des années suivantes, elle donne une série de conférences aux États-Unis et en Angleterre. Elle y rencontre son second mari, riche héritier d’une famille d’aristocrate anglais. En 1908 elle se marie, et s’installe à Londres. Fille de fermier, devenue grande dame anglaise à 38 ans, elle donnera naissance à 3 enfants, connaîtra un mariage malheureux et un divorce féroce. Femme libre, elle militera auprès des suffragettes anglaises pour le droit de vote des femmes. Jusqu’à sa mort en 1944, George Elson et elle conserveront une solide amitié. À plus de 60 ans, elle retournera même en expédition avec lui à la rivière Moose, en Ontario. Mina Benson s’éteint accidentellement à Londres en 1956. Elle avait 86 ans.
Par Marie-Claude Duchesne, directrice-archiviste à la Société d’histoire de la Baie-James.