
Gouvernance, logement, développement : Matagami choisit sa direction

À Matagami, les élections municipales du 2 novembre 2025, s’annoncent comme un moment charnière pour une communauté en quête de stabilité. Le maire sortant René Dubé, candidat à sa propre succession, affronte Mathieu Pedneault dans une course où la proximité, la transparence, les infrastructures, la planification et la rigueur budgétaire sont au cœur des débats.
Tandis que Jean-Pierre Charette et Michel Lavigne se disputent le poste 1 de conseiller municipal, les sièges 2 à 6 ont été reconduits sans opposition : Martin Filion, Louis Gagnon, Amélie Sauvé, Sonia Leblanc et Pierluc Brousseau poursuivent leur mandat, témoignant d’un certain consensus local. Mais derrière cette apparente continuité, Matagami fait face à des enjeux majeurs : fermeture de la mine Glencore, pression climatique, et défi d’attractivité et de rétention. Dans ce contexte, les choix électoraux prennent une résonance particulière.
René Dubé a présenté les grandes lignes de son programme électoral. Lors d’une entrevue, il est revenu sur différents enjeux en insistant sur les mesures déjà mises en œuvre et celles à venir.
Logement : encadrer les pratiques et soutenir les transitions
La pénurie d’hébergement provoquée par l’incendie de l'hôtel Matagami en janvier 2022 a conduit la Ville à autoriser temporairement un campement urbain en partenariat avec Horizon Nord. Ce dispositif visait à accueillir motoneigistes, visiteurs et membres des communautés autochtones : « Ce n’est pas parce qu’on l’a toléré que c’est permis », rappelle René Dubé.
Depuis août 2025, hôtel Matag a rouvert ses portes et un nouvel établissement, le Microtel, est en cours d’implantation. Ces offres permettront de mettre fin aux hébergements non conformes dans les résidences privées. « Les travailleurs vont devoir se conformer », affirme le maire. La Ville a également acquis une partie du parc immobilier de la mine Glencore après sa fermeture en 2022. Certaines maisons ont été revendues à prix modéré, d’autres servent à loger temporairement les nouveaux employés.
Urbanisme : préserver l’identité résidentielle
René Dubé entend préserver le caractère résidentiel des quartiers en interdisant les locations temporaires non autorisées, en particulier celles proposées sur des plateformes numériques comme Airbnb. Il souhaite encadrer ces pratiques afin de protéger la vocation familiale et professionnelle des secteurs concernés, dans une logique de cohérence urbanistique et de respect du tissu local.
Transition écologique : sobriété énergétique et gestion des déchets
La Ville maintient un système de collecte alternée des ordures et du recyclage toutes les deux semaines. Le compostage, bien que souhaité, reste suspendu en raison des contraintes budgétaires liées à la fermeture de la mine. « Ce n’est pas parce qu’on ne veut pas, c’est parce que pour l’instant on n’est pas en position pour aller de l’avant.»
Des évaluations énergétiques ont été menés dans les bâtiments municipaux afin de repérer les pistes d’amélioration. La municipalité cherche à mieux comprendre ses dépenses énergétiques pour identifier des solutions plus efficaces et économiques. D’autres projets sont prêts à être lancés, en attente de soutien financier par le biais de programmes gouvernementaux.
Sécurité climatique : anticiper les risques et renforcer les infrastructures
Bien que Matagami ait été épargnée par les feux de forêt survenus en 2023, la municipalité a pris des mesures pour renforcer sa préparation face aux risques. En partenariat avec la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU), des essences d’arbres jugées trop inflammables ont été retirées, et un entrepreneur local a été chargé de réaliser ces travaux. Des équipements de pompage ont également été installés dans les secteurs non desservis par le réseau, tandis que la brigade municipale demeure en alerte permanente. De plus un plan d’intervention d’urgence mis à jour est désormais en vigueur, assurant une chaîne de réponse opérationnelle et coordonnée.
Face aux risques d’inondation, près de 10 millions de dollars ont été investis dans l’usine de traitement des eaux et les réseaux d’aqueduc et d’égouts. Des firmes ont été mandatées pour inspecter les conduites par caméra et renouveler les plans d’intervention. En 2025, le conseil municipal a renforcé sa réserve d’infrastructures, passant de 1 à 1,5 million de dollars. « Il faut comprendre le pourquoi du comment », insiste M. Dubé, qui mise sur l’expertise externe pour garantir la sécurité des citoyens.
Services de proximité : un socle pour la rétention des résidents
Pour René Dubé, garantir l’accès aux services essentiels demeure une priorité. « L’épicerie, la quincaillerie RONA et nos deux stations-service doivent rester ouvertes », affirme-t-il, soulignant leur rôle central dans la vie quotidienne des résidents. Il se félicite également du recrutement d’un pharmacien, rendu possible grâce à l’intervention d’un agent spécialisé : « On a connu l’époque où les médicaments arrivaient par autobus. Aujourd’hui, on a une équipe extraordinaire. »
Malgré une population de 1 400 habitants et l’absence de MRC pour partager les coûts, Matagami dispose d’un centre civique complet : piscine, maison des jeunes, local des aînés, salle communautaire, terrain de balle, golf et sentiers pédestres. La gratuité de la piscine pour les familles a entraîné une hausse notable de la fréquentation. Quant à la bibliothèque municipale, elle est décrite comme « un lieu vivant d’échanges intergénérationnels », reflet d’une communauté active et résiliente.
Mobilité et infrastructures : penser local, agir régional
La Ville a investi dans son aéroport local pour faciliter le transport des travailleurs liés au projets miniers : « On a acheté un dégivreur, agrandi le stationnement, et maintenant les avions viennent chercher nos travailleurs chez nous », explique le candidat. Cette initiative a permis à plusieurs familles de rester à Matagami, tout en renforçant les liens avec les communautés voisines comme Lebel-Sur-Quévillon.
Développement économique : miser sur des leviers structurants
Parmi les projets phares figure la Cour de transbordement, présentée comme un « vieux rêve » devenu réalité. Un investissement de 10 millions de dollars a été réalisé avec des partenaires pour en faire un pôle logistique stratégique, notamment pour le transport du lithium : « On a pris des décisions d’affaires, en espérant qu’elles deviendront notre planche de salut », affirme Dubé.
Autre exemple de mobilisation régionale : la relance de la scierie Interfor, mise en vente récemment. Grâce à une solidarité intercommunale et à l’arrivée de nouveaux gestionnaires comme Chantiers Chibougamau, l’usine fonctionne à nouveau. « Les travailleurs se sont approprié leur usine », se réjouit le maire, espérant une modernisation prochaine pour accroître sa performance.
Participation citoyenne : une culture ancrée dans les pratiques
René Dubé met l’accent sur la participation citoyenne comme levier central de l’action municipale. Les séances du conseil municipal, ouvertes chaque deuxième mardi du mois, permettent aux citoyens de poser leurs questions en personne ou en ligne. « Il n’y a jamais de questions niaiseuses », affirme-t-il.
En 2019, la Ville avait lancé une vaste consultation dans le cadre du programme « Voir grand », visant à définir une vision collective pour les années à venir. Cette démarche a permis d’identifier des priorités telles que le maintien du centre de la petite enfance, la veille sur les services de santé et d’éducation, ou encore la revitalisation de la bibliothèque municipale.
Photo : Nicolas FivelRené Dubé, actuel maire de Matagami et candidat à sa propre successionLe candidat revient également sur deux décennies d’engagement à la tête de la Ville. Cinq mandats traversés par des crises, des transformations majeures et des choix difficiles, mais portés par une fidélité constante à sa communauté. « C’est le plus beau cadeau que la vie m’a fait », confie-t-il, en évoquant ses débuts comme conseiller municipal.
Dans un territoire nordique où chaque service compte, René Dubé défend une gestion municipale fondée sur l’humain et la solidarité. « J’avais des employés qui devaient consulter un oculiste, un dentiste ou suivre des cours de conduite. J’avais convenu avec eux qu’ils n’avaient pas à utiliser leurs vacances pour remplir ces obligations », raconte-t-il. Ce souci du concret, le relie à une frustration plus large : « Pourquoi les programmes ne tiennent pas compte des réalités qu’on a sur le terrain ? »
Face aux politiques uniformes qui ignorent les spécificités régionales, ce dernier exprime une colère lucide : « Ça vient me chercher parce que tu touches à mon monde. » Il appelle à une reconnaissance pleine et entière des réalités nordiques, saluant au passage l’action du député d'Ungava, monsieur Denis Lamothe: « Il s’est battu pour nous autres, mais il faut encore se battre. »
Le respect des aînés constitue pour lui un principe non négociable et une valeur fondamentale, indissociable de l’engagement public. Il considère qu’une communauté juste est celle qui reconnaît la contribution de celles et ceux qui l’ont bâtie, et qui leur accorde la considération qu’ils méritent. Cette conviction s’inscrit dans une vision intergénérationnelle de la solidarité, où chaque parcours de vie mérite d’être honoré avec dignité. Il insiste sur l’indissociabilité entre la fonction politique et l’engagement personnel.
Malgré les chocs successifs à savoir, la fermeture de la mine en 2022, la pandémie, les pressions économiques, Matagami a maintenu le cap. « On a préconisé une approche budgétaire restrictive. On voulait une ville sans dettes. Chaque dollar est important pour nous ». Cette rigueur financière a permis de préserver les marges de manœuvre et de préparer l’avenir. La planification stratégique 2026–2036 est déjà en place. Elle intègre les enjeux liés à la Cour de transbordement, à l’usine de sciage, à l’énergie circulaire, aux relations avec les communautés autochtones et aux perspectives minières. « Ils ne viendront pas juste chercher la matière première. Ils vont travailler avec le milieu de Matagami », affirme-t-il.
Alors qu’il envisage un dernier mandat, René Dubé exprime sa volonté de transmettre le flambeau dans les meilleures conditions. « Je suis bien fier de vous avoir représentés ces 20 dernières années comme maire. J’aimerais ça être capable de finir la boucle et de préparer ma relève. »
Rappelons que Mathieu Pedneault a choisi de ne pas participer aux invitations à débattre ni aux demandes d’entrevue. Il s’est adressé aux électeurs et électrices par le biais d’un message les invitant à consulter sa plateforme en ligne (mathieupedneault.ca) pour découvrir sa vision, ses engagements et même contribuer à l’élaboration de son programme.
Photo : Hind Dekkar Mathieu Pedneault, candidat au poste de maire de Matagami Dans un contexte marqué par des enjeux économiques, sociaux et environnementaux majeurs, les élections municipales de Matagami cristallisent des visions contrastées de l’avenir. Entre un maire sortant qui mise sur l’expérience et la planification, et un adversaire qui privilégie une démarche participative, la population est appelée à se prononcer sur la trajectoire qu’elle souhaite donner à sa ville. Le verdict des urnes, attendu le 2 novembre, dira quelle voie Matagami choisira pour affronter les défis à venir.




