
Eeyou Istchee Baie-James : une gouvernance unique au Québec, entre tradition et modernité

Au Nord-du-Québec, le territoire d’Eeyou Istchee Baie-James incarne une approche singulière de la gouvernance. Fruit d’ententes historiques entre les Cris et le gouvernement provincial, ces accords ont redéfini la gestion des terres, des ressources naturelles et du développement économique, favorisant ainsi une cohabitation harmonieuse entre les différentes communautés.
La Convention de la Baie-James : un jalon majeur
Signée le 11 novembre 1975, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois est le premier traité entre le Québec, le gouvernement canadien et des nations autochtones. Elle confère aux Cris une autonomie dans des secteurs clés tels que l’éducation, la santé et la gestion des ressources naturelles. En échange, les peuples autochtones ont cédé leurs droits sur un territoire de près d’un million de kilomètres carrés, facilitant ainsi le développement régional. Les principaux signataires de la Convention de la Baie-James sont le Grand Conseil des Cris, les Inuits du Nunavik, le gouvernement provincial et fédéral, Hydro-Québec et la Société de développement de la Baie-James.
Pour Mandy Gull-Masty, députée d’Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou, ancienne Grande Cheffe du Grand Conseil des Cris et ancienne présidente du Gouvernement Régional Eeyou Istchee Baie-James (GREIBJ), cette convention constitue un « document vivant », continuellement adapté aux réalités contemporaines. Elle souligne l’importance de comprendre " l’esprit" des négociations initiales qui ont façonné cet accord, et la nécessité de continuer à travailler sur son évolution.
La Paix des Braves : une avancée significative
L’Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Québec et les communautés cris , signée en 2002 et mieux connue sous le nom de Paix des Braves, vient renforcer l’autonomie de ces derniers. Ce traité met fin à plusieurs litiges juridiques et favorise une gestion concertée du territoire. Alain Coulombe, président-directeur général de la Société de développement de la Baie-James (SDBJ), souligne le rôle clé de son organisation dans la mise en œuvre de ces accords : « Nous avons des obligations qui nous poussent à favoriser le développement économique des communautés locales en créant des partenariats concrets ».
Un modèle de gouvernance régional novateur
L’Entente sur la gouvernance dans le territoire d’Eeyou Istchee Baie-James a mené à l’abolition de la Municipalité de la Baie-James et à la création du Gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James (GREIBJ) en janvier 2014. Cette structure permet aux Cris et aux Jamesiens de collaborer étroitement sur les enjeux municipaux et territoriaux. Jean Boulet, ministre du Travail et ministre responsable de la région du Nord-du-Québec, insiste sur cette « communauté d’intérêts » et la nécessité de favoriser la cohésion entre les différentes populations du territoire.
Pour Guy Lafrenière, maire de Lebel-sur-Quévillon, cette gouvernance partagée repose sur un dialogue constant : « Nous devons discuter ensemble de ce qui a fonctionné et de ce qu’il faut améliorer pour garantir un développement harmonieux ».
Des défis à relever pour l’avenir
Malgré ces avancées, des enjeux restent présents. La gestion des ressources naturelles, le développement économique et la préservation des traditions cries constituent des défis majeurs. Pour Manon Cyr, mairesse de Chibougamau et vice-présidente du GREIBJ, ces différences culturelles et linguistiques peuvent complexifier certaines discussions, mais le dialogue reste essentiel : « Nous avons une chance d’avoir des conventions qui nous permettent de travailler ensemble, mais cela demande un réel effort de collaboration ».
L’importance de la gouvernance et de la cohabitation entre Cris et Jamesiens s'est révélée particulièrement évidentes et pertinentes lors des feux de forêt historiques de l’été 2023 à la Baie-James. Cet événement a mis en lumière la nécessité de renforcer la communication et la collaboration, comme l’indique René Dubé, maire de Matagami :
« Nos forces et nos faiblesses ont été révélées. Il est crucial d’améliorer la communication et de renforcer notre connaissance mutuelle pour mieux collaborer. Certaines personnes nous envient, car nous avons mis en place une approche unique de gouvernance, mais il reste du travail à faire pour garantir une cohabitation efficace et harmonieuse.»
D’un point de vue économique, la Société de développement de la Baie-James (SDBJ) joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre des ententes régionales. Son président-directeur général, souligne l’importance des partenariats stratégiques :
"Nous avons accéléré nos efforts pour concrétiser des collaborations avec divers partenaires. Certains projets sont déjà réalisés, d’autres sont en cours de développement ou d’annonce.»
La gouvernance régionale repose sur un équilibre délicat entre reconnaissance des spécificités culturelles et volonté de bâtir une communauté unie. Pour René Dubé, cette approche est essentielle :
« Derrière toutes ces ententes, qu’ils soient Cris ou Jamesiens, ce sont avant tout des habitants de ce territoire. Ce qu’ils recherchent, c’est un cadre de vie sécuritaire, accueillant et fondé sur le respect mutuel. Nous devons poursuivre nos efforts communs, en alignant nos aspirations, afin que cette cohabitation profite à tous.»
Un équilibre entre héritage et vision d’avenir
Ainsi, le territoire d’Eeyou Istchee Baie-James reste un modèle unique de gouvernance au Québec, démontrant qu’une entente bien gérée peut favoriser l’harmonie sociale, le développement économique et le respect des traditions. L’expérience du Nord-du-Québec pourrait servir de modèle pour d’autres régions cherchant à concilier gouvernance autochtone et non-autochtone. L’avenir repose sur une volonté commune de bâtir un territoire où le respect des traditions s’allie à une vision moderne du développement.
À l’aube du 50e anniversaire de la Convention de la Baie-James, ce modèle de gouvernance continue d’évoluer. Les partenariats, l’écoute mutuelle et la reconnaissance des spécificités locales demeurent les clés de cette expérience unique au Québec.