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Curieuse histoire : la Route des Conquérants

Hind Dekkar
Photo : La Porte de la Baie-James à Villebois sur la Route des Conquérants, en 2018. Collection P5 SHBJ, Société d’histoire de la Baie-James.
Publié le 22 septembre 2025 par Hind DekkarPhoto : La Porte de la Baie-James à Villebois sur la Route des Conquérants, en 2018. Collection P5 SHBJ, Société d’histoire de la Baie-James


La Sarre, 22 septembre 1966. Un groupe d’hommes d’affaires et de notable de Matagami, La Sarre et d’Amos se réunissent pour aborder un sujet important. Il y a trop longtemps que le gouvernement du Québec néglige leurs communautés. Pour eux, si on commence à parler de développement hydroélectrique à la baie James, il n’est pas question que cette fois encore, les gens de l’Abitibi soient mis de côté.

Le mécontentement dans la région est grand : le maire de Val-d’Or fait même la promotion d’une séparation de l’Abitibi, du Nord-Est Ontarien et de la Baie-James actuelle, pour fonder une 11e province canadienne ! Le groupe d’hommes décide que cette fois, les futurs développements industriels profiteront à leur région. Ils organiseront la construction de la première route entre Villebois et Waskaganish, et seront les premiers à profiter des futurs projets de la baie James. Leur projet est ambitieux, et le groupe décide de se doter d’un nom à la hauteur de leurs attentes : l’Ordre des Conquérants du Nord.

Le projet de l’Ordre se met en place rapidement. Un comité routier est formé pour mener des études de faisabilité, puis en octobre, la Chambre de commerce de La Sarre autorise le Comité à lancer sa première campagne de financement : la vente de boutons.

 Le 1er février 1967, la Chambre de Commerce de La Sarre entreprend la construction d'un chemin d'accès à la baie JamesPhoto : Archives de la Société d’histoire et du patrimoine de la région de La Sarre Le 1er février 1967, la Chambre de Commerce de La Sarre entreprend la construction d'un chemin d'accès à la baie James

La construction de la route des Conquérants débute dès le mois de février suivant. La machinerie est fournie – parfois gratuitement – par des entrepreneurs de tout l’Abitibi. Des bénévoles se mobilisent, les épiciers fournissent des repas. En moins d’un mois de travail, le premier tronçon de la route d’hiver de 35 milles a émergé depuis Villebois et s’enfonce au cœur de la forêt. Il est bénit en grande pompe, et sous un panneau au slogan ambitieux : Vers la baie James et la mer ! Un radio-thon de 5 heures est organisé et diffusé sur 4 stations de radio abitibien, permettant d’accumuler près de 400 000 $ !

En mars de l’année suivante, le projet est bien avancé. Un 2e radio-thon s'organise à La Sarre , afin de poursuivre le financement du projet. Après une année de travaux, plus de 600 visiteurs se réunissent au nord de Villebois, au bord de la rivière Harricana pour une cérémonie du curé de La Sarre, qui bénit une arche temporaire construite par les habitants de Villebois.

En mars 1970, la route d’hiver de 215 km construite par l’Ordre permet enfin de lier Villebois à Waskaganish, au bord de la baie James. C’était là une grande étape de franchie pour l’Ordre. L’étape suivante est toutefois cruciale : il faut maintenant graveler la voie et surtout : construire des ponts.

En 1975, un dossier est envoyé aux autorités gouvernementales en vue de graveler une partie du chemin de pénétration entre Villebois et Waskaganish (autrefois Rupert House)Photo : Archives de la Société d’histoire et du patrimoine de la région de La SarreEn 1975, un dossier est envoyé aux autorités gouvernementales en vue de graveler une partie du chemin de pénétration entre Villebois et Waskaganish (autrefois Rupert House)

Mais voilà que la nouvelle tombe : pour le gouvernement provincial, l’accès vers la baie James et les futures centrales hydroélectriques sera à Matagami. Le projet du siècle est lancé et la construction de la route de la Baie-James débute en 1971. Reliant Matagami à Radisson, achevée en 1974, elle est aujourd’hui connue sous le nom de route Billy-Diamond.

Quant à la route des Conquérants, elle tombe peu à peu en désuétude. Sa partie achevée aura toutefois permis de faciliter l’accès aux mines Selbaie de Joutel et Casa Berardi de Villebois. En 1978, une arche – la Porte de la Baie-James – y est érigée à Villebois. Elle rappelle encore aujourd’hui l’histoire de ces hommes qui rêvaient grand.

Par Marie-Claude Duchesne, directrice-archiviste à la Société d’histoire de la Baie-James.