
Convention de la Baie-James et du Nord québécois, 50 ans après : l’entente qui a redéfini le Québec et les droits autochtones

Cinquante ans après sa signature, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois n’a rien perdu de sa force. Ce traité a bouleversé l’histoire du Québec en redéfinissant les rapports entre gouvernements et nations autochtones, tout en ouvrant la voie au développement hydroélectrique du Nord. Derrière ce document se cachent des histoires de choc culturel, de luttes pour la reconnaissance, mais aussi d’alliances inédites qui continuent de façonner nos territoires et nos institutions. Héritage, injustices, réussites et défis : découvrez comment ce traité fondateur reste au cœur des débats et pourquoi il interpelle encore aujourd’hui.
Signée le 11 novembre 1975 à Québec, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) célèbre en 2025 son cinquantième anniversaire. Considérée comme le premier traité moderne sur les revendications territoriales autochtones au Canada, elle demeure un jalon majeur de l’histoire contemporaine du Québec et un modèle de reconnaissance des droits autochtones.
Pour Ian Lafrenière, ministre responsable du Nord-du-Québec, des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, et de la Sécurité publique, l’entente conserve toute sa force :
« Pour moi, c’est un peu comme un contrat de mariage. Et c’est normal qu’après 50 ans, on revisite nos vœux, qu’on regarde où nous en sommes rendus dans nos relations. »
Il rappelle le contexte de l’époque : « On avait un grand besoin énergétique, un grand besoin de relancer l’économie du Québec. Et on avait cette rencontre avec les communautés cries. Je dois dire qu’à l’époque, on ne se connaissait pas beaucoup, alors ça a été un choc, un choc culturel. »
Ce choc a ouvert la voie à une reconnaissance inédite. La Convention a permis au Québec de développer son hydroélectricité — une part importante provenant de la région de la Baie-James — tout en affirmant les droits des Cris, des Inuits et, plus tard, des Naskapis. Depuis, plusieurs conventions complémentaires sont venues préciser ou modifier l’entente. « C’était une première au Québec, au Canada, et même une première mondiale. Plusieurs autres nations s’en sont inspirées », souligne M. Lafrenière.
Une approche de nation à nation
La CBJNQ a instauré une nouvelle manière de travailler ensemble, en définissant les catégories de terres et en donnant une prévisibilité aux projets de développement. Pour les communautés autochtones, l’impact est majeur : reconnaissance des droits linguistiques et culturels, autonomie accrue, gestion de l’éducation et de la santé.
De la route Billy-Diamond aux projets d’entrepreneuriat
Créée dans la foulée de la Convention, la Société de développement de la Baie-James (SDBJ) incarne ce partenariat entre autochtones et allochtones de la région . Emil Tagho, vice-président aux infrastructures auprès de la SDBJ, affirme : « Nous avons réussi à accomplir aujourd’hui ce que les pères fondateurs ont pensé il y a de cela 50 ans. »
La SDBJ a multiplié les partenariats avec les communautés cries, notamment à travers la Corporation Aakutaah, spécialisées en gestion aéroportuaire. Ces initiatives reflètent « l’esprit du chapitre 28 » de la Convention, en favorisant la formation d’équipes locales et l’émergence d’activités économiques.
M. Tagho rappelle aussi les grandes infrastructures des années 1970 : la route Billy-Diamond, reliant Matagami à Radisson, et l’aéroport de la Grande Rivière, devenu un point nodal pour le ravitaillement du Grand Nord. « Nous sommes fiers du chemin parcouru et déterminés à poursuivre aux côtés de nos partenaires la construction d’infrastructures qui servent autant au développement qu’au rapprochement des peuples du territoire. »
Mme Josée Roy, vice-présidente à l’exploitation à la SDBJ, insiste quant à elle sur la continuité : « Le 50e anniversaire de la Convention nous rappelle comment cette entente a façonné le rôle de la SDBJ en matière de développement économique et qu’elle a posé les fondations d’un partenariat avec la nation crie qui s’est renforcé au fil des décennies. »
Depuis un demi-siècle, la SDBJ finance des projets d’entrepreneuriat crie et applique une politique d’octroi de contrats visant à maximiser les retombées économiques pour les communautés du Nord. « Ces réalisations témoignent de ce que peut accomplir une collaboration respectueuse », ajoute-t-elle.
Une reconnaissance territoriale partagée
À Matagami, le maire René Dubé estime que l’entente reste bénéfique, tant pour le Québec que pour les communautés autochtones, puisqu’elle reconnaît leurs droits ancestraux et leur confère une autonomie accrue dans des domaines essentiels. Il insiste sur la gestion concertée des territoires : « La catégorisation des terres (catégories I, II et III) a permis d’instaurer une gestion respectueuse de ceux qui habitent ce territoire. » L’entente de 2014 a marqué une étape supplémentaire avec la création du Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James (GREIBJ), réunissant chefs autochtones et élus municipaux autour de la même table. « On est assis tous ensemble autour de la même table, tout en respectant les droits de la Convention. C’est quelque chose d’extraordinaire. »
René Dubé souligne aussi le rôle stratégique de Matagami, « porte d’entrée importante » vers les communautés cries de la côte. « Le fait d’avoir une reconnaissance territoriale a permis aux communautés de se dynamiser et de réellement entrer dans l’ère moderne. »
Guy Lafrenière, maire de Lebel-sur-Quévillon, rappelle pour sa part que la Convention demeure un cadre essentiel de cohabitation et de développement. Elle a permis la construction des grands barrages et généré d’importantes retombées financières. Mais au-delà de l’économie, il souligne la dimension humaine : « Plus que l’argent, c’est aussi de comprendre qu’on vit les deux nations, les deux peuples sur les mêmes terres. Avec ça, il faut travailler ensemble. »
Un héritage académique et éducatif
Cinquante ans après sa signature, la CBJNQ continue de façonner les trajectoires institutionnelles et les orientations de recherche de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Le 6 novembre 2025, l’UQAT et l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) ont souligné conjointement la portée historique de l’entente lors d’un évènement à Val-d’Or. À cette occasion, l’INRS a remis en prêt une copie originale de la Convention.
Francis Lévesque, directeur de l’École d’études autochtones et professeur à l'UQAT, rappelle que la Convention a eu des effets directs sur les partenariats de l'Université. Il souligne notamment la collaboration avec la Commission scolaire crie, créée par la Convention, qui finance les études postsecondaires de ses membres et avec laquelle l’UQAT développe des programmes adaptés. L’Université accompagne aussi depuis plus de 40 ans les communautés inuites non signataires de Puvirnituq et Ivujivik dans la mise en place de curriculums scolaires et la formation des maîtres.
Cependant, M. Lévesque dénonce une injustice vécue par les Anishinabeg : « Les communautés de Pikogan et de Val-d’Or n’ont jamais signé la Convention. Pourtant, elles vivent sur un territoire cédé, administré dans le cadre d’un régime cri, sans reconnaissance explicite de leurs droits. » Ce décalage, dit-il, « crée une espèce d’injustice territoriale » qui demeure sans solution claire.
Par ailleurs, l’exemplaire, légué à l’INRS par Armand Couture, figure marquante du développement hydroélectrique du Nord québécois, a été exposé à la Bibliothèque du campus de l’UQAT afin que les étudiants et étudiantes de l’Université et du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue puissent y avoir accès. « Lorsqu’un objet est mis à la disposition de tous, ça permet aux étudiants de se poser des questions sur ce document qui est au cœur des rapports que l’on entretient ici avec les populations cries. » Pour le directeur, l’enjeu n’est pas de former des chercheurs, mais « d’éveiller la curiosité et d’inciter les gens à venir s’informer. »
Photo : Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)De gauche à droite : M. Vincent Rousson, recteur de l’UQAT, M. Luc-Alain Giraldeau, directeur général de l’INRS, M. François Cartier, archiviste à l’INRS et M. Francis Lévesque, directeur de l’École d’études autochtones et professeur à l’UQAT, lors de la remise officielle tenue au campus de l’UQAT à Val-d’Or, le 6 novembre 2025Les signataires et les absents
Avec le recul, l’entente apparaît autant comme une avancée majeure que comme le rappel des voix laissées en marge. En effet, les signataires de 1975 étaient le gouvernement du Québec, représenté par le premier ministre Robert Bourassa et son ministre des Ressources naturelles Claude Morin, le gouvernement du Canada par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien l’Honorable James Hugh Faulkner — bien qu’il ait été nommé à ce poste en 1977, il était Secrétaire d’État du Canada et impliqué dans les négociations — ainsi que Hydro-Québec et sa filiale, la Société d’énergie de la Baie James (SEBJ). Du côté autochtone, le Grand Conseil des Cris du Québec, dirigé par Billy Diamond, et l’Association des Inuit du Nord québécois (AINQ), représentant les communautés du Nunavik, apposèrent leur signature.
Cependant, toutes les nations du Nord ne furent pas incluses. La Nation naskapie ne signa pas en 1975 et fut intégrée seulement en 1978 par la Convention du Nord-Est québécois. Les Anishinabeg (Algonquins) des communautés de Pikogan, Lac Simon et Kitcisakik n’ont jamais signé. Certaines communautés inuites, notamment Puvirnituq et Ivujivik, refusèrent de signer en 1975 et restent en marge du cadre conventionnel, malgré des partenariats éducatifs et institutionnels développés par la suite.
Cinquante ans d’adaptations et de gouvernance
Depuis sa signature, la CBJNQ a été complétée par dix-huit conventions complémentaires. Des ententes majeures ont consolidé la gouvernance, notamment la « Paix des Braves » (2002) entre le gouvernement du Québec et la Nation crie et la création du Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James (2014), qui institutionnalise la gestion partagée des territoires entre représentants cris et élus municipaux jamesiens.
Sur le plan socioéconomique, la Convention a reconnu des droits territoriaux et culturels, soutenu l’autonomie institutionnelle (éducation, santé, services sociaux) et permis l’essor d’entreprises autochtones (ex. Air Inuit, Air Creebec), tout en encadrant le développement hydroélectrique du Nord québécois. Ce cadre a donné une prévisibilité aux projets et structuré une approche de nation à nation qui se poursuit.
Cinquante ans plus tard, la CBJNQ demeure un instrument vivant : célébré pour ses avancées et ses partenariats, questionné pour ses angles morts, notamment l’injustice territoriale ressentie par des communautés Anishinabeg non signataires. Entre célébration et lucidité, l’anniversaire de 2025 invite à revisiter les engagements, à clarifier les zones grises et à élargir le dialogue pour que l’esprit de la Convention à savoir, reconnaissance, cohabitation, et développement partagé, continue de structurer l’avenir du Nord québécois.
« Apprenons notre histoire. Rappelons-nous que ce grand traité a été fait par des personnes qui ont osé à l’époque. Aujourd’hui, personne n’en doute. Alors célébrons ensemble notre approche de nation à nation. »
— Ian Lafrenière, ministre responsable du Nord-du-Québec, des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, et de la Sécurité publique.




