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50 ans de la CBJNQ : un demi-siècle de transformations cries, jamésiennes et québécoises

Nicolas Fivel
Les acteurs politiques d'aujourd’hui appellent à renforcer davantage les partenariats pour poursuivre le développement d’un Nord partagé durablement.
Publié le 30 novembre 2025 par Nicolas FivelPaul John Murdoch lors des célébrations du 11 novembre 2025 / Photo : Facebook du Grand Conseil des Cris

Signée le 11 novembre 1975, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois demeure l’un des accords fondateurs dans l’histoire contemporaine du Québec. Elle a non seulement redéfini l’organisation politique, économique et territoriale du Nord, mais elle a aussi posé les bases d’une nouvelle relation entre les gouvernements provinciaux/fédéraux et les peuples autochtones. Cinq décennies plus tard, trois figures politiques — Paul John Murdoch, Jacques Fortin et Manon Cyr — dressent un portrait nuancé d’un riche héritage complexe et en constante évolution.

Une Convention pour marquer le début d’une relation

Pour la Nation crie, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois ne doit pas être interprétée comme une simple procédure juridique. Le Grand Chef de la Nation crie, Paul John Murdoch, insiste sur le fait que « le terme bilan peut être un bon mot, mais il faut qu’on fasse attention », expliquant que plusieurs perçoivent encore ce premier traité moderne au Canada comme « une transaction », ce qui ferait complètement « manquer une grosse partie de ce que ç’a été vraiment ».

Il rappelle toutefois que cet accord a été amendé près d’une trentaine de fois en cinquante ans, signe qu’il a évolué au rythme des besoins et des réalités du Nord. Ces modifications, dit-il, proviennent tantôt d’Hydro-Québec ou du gouvernement, mais « ce n’est pas juste une partie qui peut faire des amendements […] il faut que toutes les parties s’entendent ». Ce caractère évolutif demeure, selon lui, l’un de ses traits les plus essentiels.

M. Murdoch identifie également trois dates clés : l’inscription des droits autochtones en 1982, l’adoption de la loi de mise en œuvre en 1984 — même si, souligne-t-il, « rien ne change » réellement tant que les ressources n’arrivent pas — et surtout la Paix des Braves en 2002, point de départ d'un rattrapage attendu.

L'élu cri — entré en fonction au mois d’août 2025 — note que près de 30 années ont été nécessaires pour ressentir les premiers effets concrets dans les communautés, notamment au niveau de l’éducation, des infrastructures et de la gouvernance locale. Pour définir globalement l’héritage de la Convention, le Grand Chef retient un seul mot : la résilience.

« Ça serait difficile de trouver une résilience aussi forte que celle démontrée par la Nation crie », estime-t-il, évoquant un passage rapide, voire violent, d’un mode de vie nomade ou semi-nomade à des institutions robustes et autonomes.

Difficile rapprochement pour Chapais

Côté jamésien, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois a aussi métamorphosé les réalités locales. Le maire de Chapais, Jacques Fortin, juge que l’une des grandes avancées aura été l’ouverture vers les communautés cries : « Ça nous a permis de connaître ces communautés que nous connaissions très peu. […] Il y a eu de nettes améliorations, c’est vraiment bien. »

Toutefois, cet essor côté cri s’est accompagné d’une chute démographique significative après la fin de nombreux grands chantiers, une conséquence dont Chapais porte encore les stigmates.

« On hérite de grosses infrastructures, puis à cause de la démographie, Chapais est passée de 3500 habitants […] à 1500 aujourd’hui », rappelle-t-il.
Jacques Fortin, maire de ChapaisPhoto : gracieuseté de la Ville de ChapaisJacques Fortin, maire de Chapais

Au-delà des aspects économiques, M. Fortin déplore que les liens humains soient restés à un faible niveau. D'après l'élu jamésien, « on s’est côtoyé, mais on ne se connaît pas vraiment ». L’avenir, pense-t-il, devrait passer par davantage d’initiatives communes, de projets structurants menés ensemble, et d’occasions de dialogue.

Parmi les occasions qu’il voit naître, le développement éolien représente un chantier majeur : il y voit un projet pouvant être « monté ensemble avec les Cris », ce qui créerait une richesse partagée et renforcerait la collaboration régionale.

Bénéfique pour Chibougamau... et même au-delà

Pour l’ancienne mairesse de Chibougamau, Manon Cyr, la Convention n’a pas seulement transformé le Nord : elle a eu un impact sur l’ensemble du Québec. Elle précise que l’accord de 1975 a rendu possible le développement des grands barrages hydroélectriques, un pilier de la production énergétique québécoise.

« Cette entente […] a été bénéfique, pas juste pour la région, mais pour tous les Québécois », affirme-t-elle.

Sur le plan local, l'ancienne élue jamésienne constate aussi que les communautés cries ont pu renforcer leurs institutions, former leurs jeunes et structurer leur développement. Le Gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James (GREIBJ), instauré progressivement, incarne, selon Mme Cyr, l’un des grands acquis institutionnels — un lieu où Cris et Jamésiens siègent ensemble pour développer et gérer le territoire.

Manon Cyr, ancienne mairesse de Chibougamau (2009-2025)Photo : Nicolas FivelManon Cyr, ancienne mairesse de Chibougamau (2009-2025)

L'ex-mairesse appuie néanmoins sur l’importance d’une compréhension commune de cette structure fondamentale. Le GREIBJ doit « travailler au développement et à la gestion du territoire […] sur le territoire traditionnel des Cris », mentionne-t-elle, tout en tenant compte des réalités des Jamésiens.

Lorsque les acteurs s’unissent, les résultats deviennent visibles : gestion des feux de forêt en 2023, réponse apportée à la pandémie de COVID-19, projets touristiques conjoints… autant de raisons, selon Manon Cyr, de démontrer « la nécessité de travailler ensemble ».

Un présent exigeant pour construire un futur serein

Cinquante ans après sa signature, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois apparaît moins comme un traité figé que comme un engagement en perpétuelle évolution. De la reconnaissance juridique des droits ancestraux à la création d’institutions crie robustes, en passant par les mutations économiques des villes jamésiennes, elle a profondément remodelé le Nord québécois.

Elle a surtout ouvert une voie : celle d’un territoire qui se construit en partenariat, où deux peuples longtemps voisins commencent à devenir de véritables collaborateurs. Plusieurs élus soulignent qu’ils se sont côtoyés sans réellement se connaître et appellent à renforcer les échanges entamés, les projets communs entrepris et les initiatives économiques partagées.

Ce cinquantième anniversaire n’est donc pas seulement un moment de commémoration. C’est également un point d’étape crucial pour comprendre le chemin parcouru par les communautés cries et jamésiennes — et celui qui reste à construire — dans un Nord où les défis persistent, mais où les bases d’une collaboration durable n’ont jamais été aussi solides.